Enjeux maritimes dans le golfe de guinée : Quel état des lieux ?
Convoitise, belligérance, insécurité voilà les trois mots qui caractérisent le golfe de guinée. Situé au cœur de la côte Sud-Est de l’Atlantique, La région du golfe de Guinée est à cheval sur deux organisations sous régionales africaines : la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC) et la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Selon Une délimitation institutionnelle qui avait été donnée par la commission du golfe de guinée qui est une institution régionale créée en 2001, le golfe de guinée partirait du Nigeria à l’Angola. Cette commission regroupe plusieurs pays tels que l’Angola, le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, le Nigeria, la République démocratique du Congo, Sao Tomé et Principe. C’est un cadre de concertation et de discussion relatif aux différends frontaliers qui existent ou pouvant exister entre eux suite à l’exploitation des ressources naturelles.
Mais sur un plan géostratégique, la délimitation du golfe de guinée est bien plus large et va au-delà du Nigeria, il est limité par le cap des palmas au Liberia jusqu’au sud de l’Angola. Zone économique de première importance en Afrique, le golfe de guinée représente près de 50 de la production pétrolière du continent, avec des réserves estimées à 100 milliards de barils, soit 10 des réserves mondiales ; ce qui suscite l’intérêt grandissant des puissances étrangères pour cette région du monde.
Les ressources hydrocarbures ne sont pas les seules raisons qui justifient l’intérêt des puissances étrangères, il y a également les ressources halieutiques qui complètent le tableau, avec une capacité de 600 000 tonnes par an. Des chiffres qui amènent plusieurs acteurs à décrire le golfe de guinée comme une zone d’intérêt vital, car c’est dans cette partie qu’est concentrée la majorité des réserves du pétrole de la partie subsaharienne du continent mais également des ressources renouvelables.
Pour compléter le tableau de cette immense ressource dont dispose le golfe de guinée, La qualité du pétrole, la réduction des coûts de transport et l’attractivité des régimes fiscaux, sont également autant de raisons qui poussent les grandes puissances comme les USA, la chine et l’Europe à s’intéresser à cette région et de la considérer comme une zone importante pour leurs approvisionnements en hydrocarbures.
Depuis 1995, année de découverte successive des ressources offshore du golfe de guinée, deux phénomènes ont émergé successivement comme facteur de tension dans cette zone, il s’agit des conflits et différends frontaliers maritimes nés entre les pays de la région ayant pour cause l’exploitation des richesses maritimes. En cette même période la convention de Montego Bay venait d’entrer en vigueur. La coïncidence entre l’entrée en vigueur d’un texte qui consolide le droit des États sur leurs espaces maritimes, et les découvertes massives de gisements offshore dans la région du golfe de Guinée, vont accentuer l’importance des zones économiques exclusives et poussera les États de la région à s’intéresser, plus que par le passé, à leurs frontières maritimes.
Il en naitra des différends frontaliers maritimes qui connaitront différents modes de résolution, on peut citer entre autres, la ˵Zone d’intérêt commun ˶qui est un accord trouvé entre la République Démocratique du Congo et l’Angola sur le partage à égalité de l’exploitation et des revenus ; la Zone d’Exploitation Conjointe signé entre le Nigéria et la Guinée équatoriale mais aussi la zone de développement conjoint négocié entre le Nigeria et l’archipel São Tomé et Principe. Au-delà de ses problèmes qui touchent la souveraineté des états dans le contrôle de leur domaine maritime, se greffent aussi des phénomènes sécuritaires qui mettent en mal l’économie des pays de cette zone.
Le golfe de Guinée qui est toujours magnifié pour les nombreuses ressources qu’il regorge, représente également un bien et à la fois un danger pour ses attributaires. Décrite comme la « zone maritime la plus dangereuse au monde », le golfe de Guinée est en proie à de nombreux phénomènes d’insécurité et de pratique illégale, il s’agit premièrement de la piraterie et secondairement du trafic de drogue et de la pêche illégale.
Dans les années 2010, le golfe de Guinée était devenu la première région au monde où le fléau de piraterie a pris plus d’ampleur avec plus de cent incidents par an. Prises de navire, enlèvements d’équipage contre rançon, vols de cargaison. De 2020 à 2023, un tiers des attaques de ce type et plus de 95 % des 135 enlèvements de marins enregistrés se sont produits dans cette région vaste comme la Méditerranée selon le Bureau maritime international, une entité rattachée à la Chambre de commerce internationale. En plus de la piraterie, s’ajoute la pêche illégale qui représente aussi un manque à gagner énorme pour l’économie des états côtiers du golfe de Guinée.
Dans le golfe de Guinée, 40 % du poisson pêché le serait de façon illégale, ce qui représente plus de 1,2 milliard d’euros de perte annuelle pour les pays de la région. La pêche illégale est souvent menée par des bateaux étrangers qui prélèvent des quantités dépassant les capacités de reconstitution des stocks mais aussi sans aucun respect des règlementations en vigueur. Or la pêche fait vivre plus de 7 millions de personnes dans la région. A ses deux phénomènes illégaux ci-dessus décrits, s’ajoute le trafic international de drogue. Ce trafic essentiellement à destination de l’Europe, transite désormais par les pays du Golfe de Guinée. Ainsi, en décembre 2022, plus de 4,6 tonnes de cette drogue, représentant une valeur d’environ 150 millions d’euros, ont été saisies par la Marine française dans le golfe. Il existe un véritable « écosystème » de la drogue sur la côte du Golfe de Guinée, qui s’appuie sur des aéroports internationaux, des ports maritimes avec des terminaux à conteneurs et des réseaux routiers régionaux, permettant de redistribuer la drogue en Afrique et surtout en Europe.
Parmi ces trois phénomènes qui perturbent la stabilité du golfe de guinée, la piraterie représente un danger majeur non seulement pour l’économie des pays riverains mais également pour la vie des marins et de tous ceux qui exploitent cet espace maritime. A la question de savoir la cause réelle de ce phénomène qui ne cesse de prendre l’ampleur, les analyses socio-économiques avancent plusieurs causes, parmi lesquelles trois semblent être les plus importantes parce que reprises par un grand nombre de spécialistes. Le premier élément mis en cause est celui afférant à la pauvreté endémique et au développement des flux migratoires.
Le deuxième élément répertorié par les experts est un problème de gouvernance et le troisième élément est la facile corruptibilité des services chargés de la sécurité. La criminalité semble en corrélation directe avec la pauvreté endémique des populations côtières ouest africaines dont le nombre est en constante augmentation en raison du fort taux de natalité et des flux migratoires continus qui poussent les habitants de l’intérieur à immigrer vers les côtes atlantiques dans l’espoir d’y trouver une situation meilleure. La non redistribution des revenus de la manne pétrolière issue de la mauvaise gouvernance est également une des causes. Les populations savent que les richesses issues de l’exploitation des hydrocarbures sont extrêmement importantes. Ils se sentent alors frustrés de ne pouvoir en bénéficier d’aucune manière. Dans un reportage exécuté par Loic Etevenard et Denis Bassompierre pour le compte Thalassa, un jeune nigérian déclare devant les caméras nous vivons sur un territoire plein de pétrole mais nous ne recevons rien, aucun bénéfice.
Pour remédier a tous ses actes illicites qui représentent non seulement un frein pour l’économie maritime mais aussi un danger pour ceux qui fréquentent la zone, plusieurs actions bilatérales, régionales et internationales ont été mises en place pour arriver à bout de ces fléaux qui perturbent le commerce maritime dans cette région.
Comme l’ont rappelé deux résolutions du conseil de sécurité des Nations unies, c’est d’abord la responsabilité des États de la région de sécuriser leur domaine maritime. De fait, ceux-ci s’y efforcent, individuellement mais aussi collectivement, dans le cadre de l’Union africaine et surtout, au niveau régional.
L’architecture de Yaoundé marque une volonté africaine de s’approprier la lutte contre les menaces maritimes. Mise en place en 2013, elle consiste en un dispositif assez complexe, avec plusieurs instances régionales sur divers niveaux. Elle vise à lutter contre les activités illicites dans le golfe de guinée. Mais, l’harmonisation des législations, indispensable pour mieux réprimer la piraterie, accuse ainsi un certain retard.
Concernant la pêche maritime, l’Union africaine a adopté en 2016, une charte sur la sécurité maritime en mettant particulièrement l’accent sur la pêche illégale. Les trente et un États signataires, dont les pays du golfe de Guinée, se sont en effet engagé à mener les réformes nécessaires pour améliorer la gouvernance dans le secteur de la pêche et à prendre les mesures appropriées pour lutter efficacement contre la pêche illégale. Cette prise de conscience ne semble toutefois pas avoir débouché sur des actions suffisantes pour mettre un coup d’arrêt au phénomène.
Il faut reconnaitre que beaucoup de choses restent à faire pour mieux contrôler cette vaste région et pour y instaurer une sécurité durable.
Expert maritime, Consultant en transport et logistique.