Vox Pop : Le Sénégal vient de publier la liste des bateaux autorisés à pêcher dans les eaux du pays. En quoi cet acte est-il important pour le secteur et comment pourrait-il impacter les acteurs sénégalais de la pêche ?

Avis n°1 :  Dr. Mbenda DIAGNE

Le lundi 06 mai 2024, Docteur Fatou DIOUF, Ministre des Pêches et des Infrastructures maritimes et portuaires a, dans un communiqué, publié la liste des navires autorisés à pêcher dans les eaux sous juridiction sénégalaise. Ainsi, il est précisé dans ledit communiqué que :

  • 132 navires nationaux sont autorisés à pêcher dans les eaux sénégalaises avec une période de validité des licences d’un an allant du 1er janvier au 31 décembre 2024.
  • 19 navires étrangers sont autorisés à pêcher pour la période allant du 1er janvier au 17 novembre 2024, dont 2 sont des navires d’appui aux senneurs.

Le communiqué précise en outre qu’au 31 décembre 2023, il est dénombré 17 449 pirogues et 7493 permis de pêche délivrés.

Il faut dire que la publication de cette liste est une première et répond à un souci de transparence du nouveau gouvernement issu de l’alternance du 31 mars 2024.

La pêche occupe une importance cruciale dans l’économie du pays. Il reste un des maillons forts du secteur primaire employant près de 600.000 personnes dont 100.000 emplois directs et près de 500.000 emplois indirects.

En 2019, les débarquements globaux, pêche artisanale et industrielle confondues, s’élevaient à 566 692,89 tonnes, pour une valeur commerciale estimée à 263,308 milliards de FCFA. La pêche maritime artisanale assure à elle seule 84,49 % des débarquements et sa production s’élève à 451 964  tonnes pour une valeur de 182,297   milliards FCFA (DPM, 2019).

En effet, selon l’article 3 de la loi n°2015-18 du 13 juillet 2015 portant Code de la pêche maritime, « Les ressources halieutiques des eaux sous juridiction sénégalaise sont un patrimoine national. Le droit de pêche dans les eaux sous juridiction sénégalaise appartient à l’Etat qui peut en autoriser l’exercice à une ou des personnes physiques ou morales de droit sénégalais ou étranger.»

Cette disposition s’appuie sur la convention des Nations unies sur le droit de la mer, adoptée le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994, qui constitue la convention cadre régulant la gestion des mers et des océans. Elle définit les droits et obligations des Etats côtiers en matière d’exploitation des ressources biologiques, plus particulièrement des pêcheries qui souffrent d’une surexploitation des stocks au plan mondial.

Cette surexploitation des ressources halieutiques combinée à l’effort de pêche à l’échelle mondiale ainsi que les faiblesses des moyens techniques et financiers pour assurer un meilleur contrôle des pêcheries aux larges des côtes, ajoutés à cela le phénomène des pêcheries illégales, non déclarées et non réglementées (pêche INN), sont à l’origine de l’épuisement des stocks de poisson.

Ainsi, cette nouvelle posture du régime en place semble démontrer une volonté de lutter contre ce fléau en insufflant un nouveau dynamisme au secteur par le contrôle et le suivi des activités de pêche. La publication de la liste des navires autorisés à pêcher dans nos eaux est donc un pas de plus vers la transparence dans la gestion des ressources maritimes et la préservation des stocks de poissons. Comme l’a bien précisé Madame le Ministre dans son communiqué, cette mesure répond au principe de transparence dans la gestion des ressources naturelles qui constituent un patrimoine national.

Mais qu’est-ce que la transparence ?

Selon le Robert, c’est la « qualité de ce qui laisse paraître la réalité toute entière ». Elle implique de rendre l’information accessible aux tiers d’où l’importance de cet acte. Pendant longtemps, les acteurs ont fustigé le fait que tout ce qui tournait autour des licences de pêche était opaque. Cela vient du fait qu’en un sens, la vie politique et administrative était gouvernée par le secret, la transparence étant l’exception. Mais avec le renversement de ce paradigme, plus personne ne s’oppose aujourd’hui à la transparence dans la conduite des affaires administratives, car le concept a une connotation positive. L’absence de transparence étant associée dans la plupart des cas au secret mais surtout à la corruption, même si en démocratie, les acteurs publics ont le droit de ne pas tout rendre public.

Cette volonté de rendre transparente, de publier les nouvelles autorisations de pêche n’est qu’une extension du principe de publicité, l’Etat appartient au public et il se doit de rendre compte aux citoyens, ce qui ne peut être que bien perçu par les acteurs. En effet, cela implique l’idée d’impartialité dans le processus décisionnel, la prise en compte de l’intérêt général.

Aujourd’hui, cette décision pourrait être perçue par les acteurs comme une marque de franchise de la part des autorités sénégalaises sur le fait que les ressources sont une priorité pour le gouvernement en place, qui a commencé à poser les premiers jalons pour une administration transparente, soucieuse de l’intérêt des sénégalais.

En effet, comme disent supra, les acteurs ont toujours fustigé la procédure de délivrance des licences de pêche et condamné l’accès en toute illégalité des navires étrangers aux ressources halieutiques se trouvant dans les eaux sous juridiction sénégalaise. On se rappelle encore, du cas des navires russes. Les organisations professionnelles des armateurs à la pêche du Sénégal ont longtemps dénoncé les accords de pêche et demandé des réformes qui pourraient réduire les impacts des pêcheries étrangères, excessives sur les ressources biologiques marines et sur l’environnement marin.

D’aucuns considèrent qu’après avoir épuisé leurs stocks de poissons, les Etats de l’Union européenne se dirigent vers les eaux plus poissonneuses de l’Afrique de l’Ouest. Ils considèrent (opinion publique et acteurs) que les accords signés avec ces Etats sont caractérisés avant tout par les intérêts commerciaux des pays européens au détriment de l’Etat signataire desdits accords.

Cette nouvelle démarche contribuerait à redonner confiance aux acteurs quant à la volonté du nouveau régime de combattre les pêcheries illégales des navires battant pavillon étrangers mais surtout à favoriser la durabilité des pêches.

Dr. Mbenda DIAGNE

Docteur en droit public

Spécialiste en droit des espaces et des activités maritimes

Directrice des Affaires juridiques et de la Coopération à l’Agence nationale des Affaires maritimes (ANAM)