L’avènement d’une institution maritime continentale pour faire avancer le développement et les intérêts commerciaux de l’Afrique

Par Stephanie Janneh

Compte tenu de l’importance du commerce maritime pour l’Afrique et de sa forte dépendance à celui-ci, ainsi que des nombreux défis auxquels ce secteur est confronté — notamment la transition écologique du transport maritime —, il serait peut-être temps, voire impératif, d’assurer une coordination à l’échelle continentale. Les multiples traités et politiques intelligentes, dont la Charte africaine des transports maritimes révisée (2010), la Charte Africaine sur la Sûreté et la Sécurité Maritimes et le Développement en Afrique ou Charte de Lomé, ainsi que la Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans – horizon 2050  (Stratégie AIM 2050), sont des instruments politiques bien établis. Mais sans institution adéquate pour les coordonner, leur mise en œuvre reste difficile. La Charte africaine des transports maritimes révisée (2010) instruit l’Union africaine de créer une « Unité continentale pour la coordination des activités de coopération régionale dans le domaine du transport maritime, de la pollution marine et de l’exploitation portuaire. »

Si la mise en place d’un Secrétariat pour la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est une initiative saluée pour accélérer le commerce intra-africain, il faut garder à l’esprit que le commerce maritime est essentiel à la réalisation de la ZLECAf. Sachant que 90 % du commerce se fait par voie maritime, la mise en œuvre de la ZLECAf doit aller de pair avec la création d’une institution technique maritime continentale. Le libre-échange ne peut se concrétiser sans le maritime. Dans le préambule de la Charte, les chefs d’État de l’Union africaine reconnaissent le « rôle du transport maritime dans la facilitation et le développement du commerce… du commerce intra-africain et du commerce entre les États africains et les autres continents. » Il est temps de relancer le dialogue sur la création d’une institution maritime continentale, technique, dotée d’un secrétariat fonctionnel.

Dans un article de Maritimafrica, l’ancien ministre de l’Économie maritime de la République du Togo, M. Kokou Edem Tengue, contextualise la nécessité d’une institution maritime continentale :

« Je crois que nous devons œuvrer pour l’avènement d’une Organisation maritime africaine (OMA)… [l]’industrie maritime africaine doit s’y préparer. Elle ne pourra pas éviter la décarbonation. Ce qui n’est aujourd’hui qu’une recommandation deviendra très vite une norme contraignante. La réflexion doit donc commencer. »

M. Kokou Edem Tengue est désormais ministre au sein de la Présidence de la République du Togo.

Les ports africains sont-ils prêts pour la transition énergétique ?

L’Organisation maritime internationale (OMI), l’agence des Nations Unies chargée de réglementer la navigation maritime en matière de sécurité, de sûreté et de pollution, a adopté en 2023 une stratégie sur les gaz à effet de serre (GES) afin de répondre à la contribution du transport maritime au changement climatique. Cette stratégie vise à réduire les émissions de GES du transport maritime international, avec l’objectif d’atteindre une réduction d’au moins 20 % des émissions d’ici 2030 (en visant 30 %), puis d’au moins 70 % d’ici 2040 (en visant 80 %), pour atteindre la neutralité carbone d’ici ou autour de 2050, en tenant compte des circonstances nationales.

Début avril 2025, les États membres de l’OMI, à l’issue de plusieurs séries de négociations, ont décidé des détails d’un ensemble de mesures économiques et techniques, incluant une taxe forfaitaire à appliquer aux navires continuant à utiliser des carburants fossiles classiques d’ici 2028. Une session extraordinaire du Comité de protection du milieu marin se tiendra en octobre 2025 pour adopter l’ensemble final de mesures intermédiaires prévues par la stratégie GES de l’OMI de 2023.

La transition énergétique dans le secteur maritime nécessite non seulement un financement pour les carburants conformes et les technologies à haute efficacité énergétique, mais aussi une transformation des activités opérationnelles ou des processus commerciaux. Un organisme technique pourrait jouer un rôle crucial dans l’évaluation des structures financières existantes ainsi que des mécanismes de financement innovants pour le développement portuaire conforme aux nouvelles réglementations. Une institution maritime continentale serait une plateforme pertinente pour permettre aux États africains de débattre des défis existants, comme la modernisation des infrastructures, ainsi que des nouveaux défis émergents, tels que la numérisation et la décarbonation. Il est essentiel que les politiques et réglementations mondiales en matière de décarbonation du transport maritime soient discutées au niveau continental, afin de protéger les intérêts de développement et commerciaux de l’Afrique.

Tout est question de coopération et de coordination

Les États africains sont également confrontés à d’autres défis dans le domaine maritime, notamment la coopération sur les voies navigables intérieures, le cabotage, la formation maritime, le renforcement des conseils des chargeurs, la construction et la réparation navales – autant de domaines identifiés dans la Charte. Une telle institution fournirait une plateforme pertinente pour les États enclavés du continent. Par exemple, étant donné la situation sensible dans la région du Sahel, le commerce maritime est essentiel pour assurer la sécurité alimentaire et donc contribuer à la stabilité de la région. Une telle institution pourrait également :

  • Coordonner les intérêts des États africains dans les forums internationaux afin de garantir que les priorités africaines dans le secteur maritime soient prises en compte au niveau multilatéral ;

  • Coordonner et fournir des données, des informations techniques et des conseils sur les politiques maritimes aux États membres de l’UA ;

  • Soutenir les initiatives de renforcement des capacités et la coopération technique dans le domaine des politiques maritimes ;

  • Servir de réservoir d’experts et techniciens du domaine maritime, contribuant ainsi au renforcement des capacités humaines des institutions de l’UA.

Il serait peut-être temps qu’un dialogue de haut niveau entre les chefs d’État africains relance la discussion sur la création d’une institution maritime continentale. L’UA et ses institutions, y compris la ZLECAf, sont les interlocuteurs appropriés. La prise de fonction du nouveau président de la Commission de l’Union africaine, S.E. Mahmoud Ali Youssouf, constitue une opportunité idéale pour initier cette discussion. Étant donné que la ZLECAf dispose déjà d’un secrétariat pleinement opérationnel basé à Accra, au Ghana, il pourrait être judicieux que la ZLECAf joue un rôle dans la convocation d’une session sur l’état d’avancement des objectifs de la Charte, y compris l’établissement de l’institution maritime continentale.