Pollution silencieuse par les navires – Plan de Gestion des Eaux de Ballast (fin)
Suite et fin de notre série sur la « pollution silencieuse » que constitue le transport des eaux de ballast par les navires. Ce chapitre sera particulièrement marqué par la présentation des mesures d’atténuations voir de lutte contre ce danger dans nos côtes. Plus spécifiquement, il sera question de présenter un plan de gestion des eaux de ballasts. Ledit plan passe inéluctablement par la maitrise parfaite de la Convention pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires (Convention BWM) ainsi que des mesures à prendre en compte pour sa mise en place.
Section 1: La convention Ballast Water Management (BWM)
Conçu conjointement par le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM), le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et l’Organisation Maritime Internationale (OMI), la convention internationale de 2004 pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires est une règlementation internationale qui a été adopté le 13 février 2004 et ratifiée par tous les Etats membres de l’OMI.
A – Généralités sur la convention BWM
La convention dispose de 22 articles, 1 annexe incluant 5 sections (A à E), et 14 Directives. Cette partie présente quelques articles jugés les plus utiles à la mise en place d’un plan de gestion des Eaux de Ballast.
1- Article. 2: Obligations générales
Les Parties s’engagent à donner pleinement effet aux dispositions de la présente Convention et de son Annexe afin de prévenir, de réduire au minimum et, en dernier ressort, d’éliminer le transfert d’organismes aquatiques nuisibles et d’agents pathogènes grâce au contrôle et à la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires.
2- Article. 3 Champ d’application
Sauf disposition express contraire de la présente Convention, celle-ci s’applique :
- aux navires qui sont autorisés à battre le pavillon d’une Partie;
- aux navires qui ne sont pas autorisés à battre pavillon d’une Partie mais qui sont exploités sous l’autorité d’une Partie.
3- Article.9. Inspection des navires
Les navires peuvent être inspectés par les Autorités Portuaires qui peuvent :
- Vérifier que le navire détient un certificat valide et un plan de management des eaux de ballast approuvé.
4- Règle A-2 applicabilité générale
Sauf disposition express contraire, le rejet des eaux de ballast ne doit être effectué qu’au moyen de gestion des Eaux de ballast conformément aux dispositions de la présente annexe. Dans le cas des navires d’États non Parties à la présente Convention, les Parties appliquent les prescriptions de la présente Convention dans la mesure nécessaire pour que ces navires ne bénéficient pas d’un traitement plus favorable.
5- Règle B-1 Plan de gestion des eaux de ballast
Chaque navire devra avoir un plan de gestion des eaux de ballast qui soit spécifique au navire et qui satisfasse aux exigences de la Convention. En résumé, le plan doit décrire les procédures de sécurité, les mesures à prendre pour mettre en œuvre les pratiques de gestion des eaux de ballast, les procédures d’évacuations des sédiments, la désignation d’un officier de bord chargé d’assurer la mise en œuvre correcte du plan, et les prescriptions en matière de notifications.
6- Règle B-2. Registre eaux de ballast
Chaque navire doit avoir à bord un registre des eaux de ballast (règle B-2). La tenue de ce registre doit faire partie des devoirs normaux à bord et ne doit pas impliquer des tâches très onéreuses ou qui prennent du temps.
7- Options de gestion des eaux de ballast
La gestion des eaux de ballast peut être entreprise de plusieurs manières. Comme une mesure intérimaire, la Convention permet le renouvellement des eaux de ballast conformément à la norme de la règle D-1, en pleine mer, pour obtenir un renouvellement volumétrique effectif d’au moins 95% d’eaux de ballast. Cela, sera remplacé par la norme de qualité des eaux de ballast D-2, selon laquelle tous les systèmes de gestion des eaux de ballast doivent satisfaire à une norme basée sur la présence d’organismes viables par unité de volume d’eaux de ballast, tel que spécifié dans la Convention. Il est important de noter que toutes les opérations de renouvellements des eaux de ballast impliqueront un coût, étant donné que l’emploi supplémentaire des pompes augmentera l’utilisation d’essence. Certains types de navires peuvent même avoir besoin de modifications de leurs systèmes de pompages d’eaux de ballast pour satisfaire à la norme de renouvellement des eaux de ballast tel que cela a été exposé par la Convention. Cela peut impliquer des coûts à la fois en termes de main d’œuvre que de matériaux, y compris la mise en cale sèche des navires.
Section 2: Normes applicable à la gestion des eaux de ballast
Le renouvellement des eaux de ballast est seulement une option intermédiaire de gestion des eaux de ballast, sur le plus long terme tout déchargement d’eaux de ballast doit satisfaire à la norme de qualité des eaux de ballast établie dans la règle D-2. Il y a déjà un certain nombre de systèmes de traitement des eaux de ballast conformes à cette norme disponibles sur le marché et plusieurs sont encore en cours de développement. Par exemple en France nous avons l’entreprise BIO-UV avec le système BIO-SEA ; On note aussi les grands groupes tels que SUEZ, VEOLIA et celle du géant coréen TECHCROSS consistant à électrolyser¹ l’eau de mer.
Il faut noter que les normes applicables à la gestion des eaux de ballast sont :
- normes de renouvellement des eaux de ballast correspondant à la règle D-1 ;
- norme de qualité des eaux de ballast correspondant à la règle D-2 ;
- systèmes de gestion des eaux de ballast obligatoirement approuvés correspondant à la règle D-3.
Ce système est approuvé par l’administration du Port en accord avec l’OMI.
Section 3: Les difficultés de mise en œuvre de la convention BWM en Afrique
Les difficultés de mise en œuvre de la convention BWM sont celles qu’ont tous les Etats en voie de développement, à savoir l’absence de dispositif techniques et matériels pour la mise en place des textes et tests pouvant combattre ce genre de pollution (Bilong B., 2020).
i- Les limites exogènes relatives à l’application de BWM en Afrique
La principale mission de l’OMI est de rendre le transport maritime plus sûr, plus responsable, efficace et durable. Concrètement, l’Organisation a pour mission d’élaborer des normes internationales d’une part dans le domaine de la sécurité et de la sûreté maritimes, d’autre part dans le domaine de la protection de l’environnement. Toutefois ces instruments à l’instar de la convention de 2004 pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et des sédiments des navires constituent un obstacle quant à leur transposition à l’échelle sous régionale et nationale pour diverses raisons.
En effet, la Convention comporte trop de généralités. Elle ne prend pas en compte les particularités locales (situation géographique, juridique, institutionnelle et économique) de tous les Etats, notamment celles des pays en voie de développement.
ii- Les limites endogènes relatives à l’application de BWM en Afrique
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- L’absence de dispositif matériel pour sa mise en œuvre de la gestion des eaux de ballast
Depuis l’entrée en vigueur de la convention BWM, il est imposé aux Etats signataires d’être assez regardant quant à la gestion des eaux de ballast par les navires qui côtoient leurs ports. Il s’agit principalement pour les Etats portuaires de vérifier que les navires disposent à leur bord un plan de gestion des eaux de ballast (règle B-1 convention BWM), un registre des eaux de ballast (règle B-2 convention BWM) ainsi qu’un certificat international de gestion des eaux de ballast (article 9,
10 convention BWM). Tout ceci impose aux Etats portuaires d’effectuer des contrôles à bord des navires pour vérifier l’effectivité de la mesure et de la convention ; De former du personnel adéquat pour effectuer ces contrôles et prélever des échantillons d’eaux de ballast des navires conformément aux directives pour l’échantillonnage d’eaux de ballast (article 13 Convention BWM). Les Etats en voies de développement rencontrent justement des difficultés à ce niveau car ne disposant pas de la technicité nécessaire pour mettre en œuvre cette convention (Bilon, B., 2020). Cela peut se comprendre par le manque de moyens financiers, l’absence d’expertise nécessaire et parfois le manque de volonté à appliquer les conventions entrainant la complaisance portuaire (Bilon, B., 2020).
L’autre problème que rencontre la mise en œuvre d’une telle convention par les pays en voies de développement est celui de la corruption. Notons que c’est un véritable fléau pour ces pays, (Bilon, B., 2020). Les agents sur le terrain sont souvent soudoyés ou se voient donner des cadeaux pour qu’ils n’effectuent pas leur mission de contrôle et d’application de la loi. Cette corruption gangrène véritablement la sécurité portuaire et même la rentabilité des ports car de grosses sommes qui devraient être versées à l’Etat retombent dans des poches privées.
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- L’inexistence d’un cadre normatif d’accompagnement
Dans la majorité des pays en voies de développement, il y a une insuffisance et une inertie juridique et législative d’accompagnement des conventions internationales (Monteil, L., 2018). Il faut donc des mesures d’accompagnement par l’adoption de lois et décrets au niveau national (article 14 convention BWM) et sous régional, (le Gabon a ratifié à la convention BWM le 27 décembre 2017 et le Cameroun le 28 avril 2020, soit trois ans plus tard, ce qui n’assure pas la
coordination des actions).
Section 4: Benhmarking² avec les autres ports ayant réussi dans la gestion des eaux de ballast
Parmi les bonnes pratiques éditées par l’IMO, il est prévu que les Parties doivent communiquer à l’Organisation des renseignements sur leurs Installations de Réceptions Portuaires (IRP). À cet effet, l’Organisation a créé une base de données sur les installations de réceptions portuaires dans le cadre de son Système mondial intégré de renseignements maritimes (GISIS). Cette base de données s’appuie sur les dernières informations fournies par les États du port. (Voir figures 1 ci-dessous)
Figure 1: Informations sur les IRP du port d’Apapa au Nigéria
A date, la base de donnée GISIS ne recense aucun Port d’Afrique noir ayant des IRP pouvant accueillir les de ballasts et sédiments de navires. La figure ci-dessous est une présentation à vide des données des ports du Cameroun dans le système mondial GISIS comme beaucoup d’autres en Afrique.
Figure 2: Base GISIS non renseignée sur les IRP du Cameroun
Dans l’Organisation Maritime Internationale, il existe une base de données ouverte à tout le monde dans laquelle les Etats parties donnent des renseignements sur leurs ports. Malheureusement, comme nous le remarquons sur cette figure, les ports du Cameroun n’ont aucun renseignement ni sur les entreprises qui gèrent, les effluents ni sur la gestion des eaux de ballast, ni sur les escales des navires qui accostent.
Dans notre Benhmarking³ nous avons remarqué que rare sont les pays comme le Canada, les USA ou la France qui ont des données biens fournis d’informations disponible dans l’OMI sur la base GISIS concernant les informations sur la gestion des navires, c’est à dire leurs escales, leurs lieux de ballastage, de déballastage, et les différents équipements de gestion des eaux de ballast des navires à terre. Au Canada par exemple, précisément dans le port de Burnside les renseignements sur les équipements de contrôle, et de gestion des eaux de ballast sont visible (voir la figure suivante). Dans cette figure, nous pouvons observés les informations sur, les installations de réceptions portuaires, notamment les noms et les contacts des entreprises présente pour cette gestion. Ensuite les détails sur ces différents terminaux et les capacités techniques en termes de tonnage maximum ou minimum des réservoirs de recueillements d’eaux de ballast.
Figure 3: IRP des eaux de ballast renseignées pour le port de Burnside au Canada
Figure des installations de réceptions portuaires de la base GISIS avec à gauche la liste de quelques installations de réception concernant MARPOL, eaux grise de cales, résidus de boues tartre et boues provenant des citernes, et au centre nous avons les informations sur les installations de réceptions des eaux de ballast et sédiments de navires. Ces informations renseignent sur le type d’installations, l’adresse de l’entreprise en charge pour la gestion, la disponibilité du service de l’entreprise, et la quantité maximum d’eau de ballast pouvant être recueilli.
Conclusion
Nous sommes parvenus à la fin de notre série sur la « pollution silencieuse » que constitue le transport des eaux ballast par les navires. En effet, il était question pour nous de :
- sensibiliser les acteurs de la chaine portuaire plus précisément les décideurs publics sur les dangers que cette pollution représente pour notre environnement en général et pour nos côtes en particulier du point de vu des potentiels pertes en Biodiversité ;
- sensibiliser les acteurs de la chaine portuaire plus précisément les décideurs publics sur les pertes économiques potentiels liées à la non gestion des eaux de ballast par nos Ports ;
- présenter quelques espèces invasives se propageant via les « Tanks » des ballasts ;
- sensibiliser sur la connaissance et la mise en place de la Convention BWM de février 2004 de l’OMI relative à la gestion des eaux de ballast et sédiments de navires comme véritable instrument de lutte contre cette pollution ; et enfin
- présenter un plan de gestion des eaux de ballasts. Ledit plan passe inéluctablement par la maitrise parfaite de la Convention BWM ainsi que des mesures à prendre en compte pour sa mise en place.
De ce qui précède, il en ressort donc que,
- la plupart des pays Africains Patries à l’OMI ont ratifié à la Convention BWM ;
- les mesures édictées par cette Convention ne sont pas respectées par les Etats Parties Africains ;
- les Etats Africains manquent d’infrastructures, de connaissances et de moyens logistiques pour mettre en place les mesures présentes dans la Convention BWM.
Si beaucoup d’effort ont déjà été fait par ces Etats Parties, notamment sur le plan de la ratification de la Convention BWM, l’anarchie dans l’ordre de mise en œuvre de cette ratification par ces Etats Parties pose des problèmes quant à leurs mises en œuvre sur le terrain. Ceci peut être dû au manque de moyens financiers, mais aussi technologiques pour la mise en place de tels équipements.
« C’est pourquoi, le principal allié des espèces introduites semble bien, dans un grand nombre de cas, se trouvé entre l’ignorance et l’indifférence, ajouté à l’inertie administratives ». (Conseil de l’Europe).
¹ Décomposition chimique (de substances en fusion ou en solution) obtenue par le passage d’un courant électrique.
² et ³ Benchmarking : Opération généralement utilisé dans les entreprises d’expression anglaise qui consiste à copier les bonnes pratique marketing ou management d’une structure et les améliorés pour la sienne.
Auteur : Aubin Médard MFOU’OU AWANA,
Géologue, Ingénieur en gestion intégrée des environnements littoraux et marins
Références bibliographiques
Bonassies, Pierre. 2001 : « Études de droit maritime à l’aube du XXIe siècle » mélanges offerts à Pierre Bonassies. Paris: Moreux.
Gollasch., Stephan., et Matej D., 2011 : Sampling Methodologies and Approaches for Ballast Water Management Compliance Monitoring. p23(5)
Lo Prete M., 2012 : Port de commerce et environnement, une relation en évolution : Ce que nous apprennent les recours contentieux dans les ports français et italiens en mer Méditerranée. Thèse de doctorat. Paris Est. Soutenue le 26 novembre 2012.
OMI : http://www.imo.org/fr/MediaCentre/PressBriefings/Pages/22-BWM-.aspx.
Programme Globallast., 2020 : http://globallast.imo.org
Ruiz G., Paul F., James T. C., Marjorie J.W., Anson H. H., 2000 : « Invasion des communautés marines côtières en Amérique du Nord: modèles, processus et biais apparents ». Annual Review of Ecology and Systematics 31(1):DOI: 10.1146 / annurev.ecolsys.31.1.481
Tremblay P., 2017 : Évaluation du risque potentiel d’introduction d’espèces non-indigènes de mésozooplancton suite au déversement des eaux de ballast d’un navire domestique dans l’Arctique canadien. Mémoire de Master, Université du Québec à Rimouski, Institut des sciences de la mer de Rimouski, 156 p.
Tremblay, Pascal (2017) : Évaluation du risque potentiel d’introduction d’espèces non-indigènes de mésozooplancton suite au déversement des eaux de ballast d’un navire domestique dans l’Arctique canadien. Mémoire. Rimouski, Québec, Université du Québec à Rimouski, Institut des sciences de la mer de Rimouski, 156 p.