Vers une plus grande représentativité des Femmes dans l’Industrie Maritime Africaine
En Afrique, le pourcentage de femmes travaillant dans l’industrie maritime demeure nettement inférieur à celui des autres continents. Bien que des statistiques globales sur l’ensemble du continent africain fassent défaut, certaines données nationales révèlent la faible présence des femmes dans ce secteur crucial.
En 2017, la plateforme portuaire togolaise comptait seulement 67 femmes sur 783 employés, représentant environ 9% du personnel.
De même, au Bénin, seulement 82 des 512 employés du Port Autonome de Cotonou en 2021 étaient des femmes, soit 16%.
Au Nigeria, en 2019, les femmes constituaient 9,3 % des marins.
Au Ghana, les femmes représentent 16% du personnel de la Ghana Ports and Harbours Authority, en 2021.
En Afrique du Sud, un article de l’ISS relève que « seulement 15 sur 70 pilotes maritimes sont des femmes », soit 21%.
Cependant, malgré leur faible nombre, les femmes sont très présentes dans l’industrie portuaire, notamment au niveau administratif où elles jouent un rôle essentiel dans la croissance de l’organisation. Elles occupent divers postes à différents niveaux de la chaîne, que ce soit au plan exécutif, managérial ou opérationnel, allant de conductrice de grue à Directrice Générale de port.
Par exemple, sur les 67 femmes employées en 2017 par la plateforme portuaire togolaise, 49 occupaient des postes de responsabilité (soit 75%), au niveau des Ressources Humaines, de la Communauté Portuaire (Alliance pour la Promotion du Port de Lomé), du Centre Médico-social et de l’Administration Générale.
Au Nigeria, Hadiza Bala Usman a marqué l’histoire en devenant la première femme directrice générale de l’Autorité portuaire nigériane (NPA).
De plus, les femmes ont toujours joué un rôle dans ce secteur traditionnellement dominé par les hommes. Elles étaient présentes dans les ports, les entreprises maritimes privées, ou les institutions étatiques telles que les conseils des chargeurs africains, les compagnies maritimes africaines, les agences nationales maritimes et les ministères en charge de l’économie maritime ou des transports.
Aujourd’hui, on les retrouve également dans les métiers liés à la navigation, occupant des postes tels que : officiers chef de quart à la passerelle, chef de quart à la machine, capitaine de navire, et bien d’autres.
Des recherches montrent que les entreprises qui comptent des femmes parmi leurs dirigeants enregistrent de meilleurs résultats. Les preuves sont nombreuses en faveur du fait que miser sur les femmes est l’une des façons les plus efficaces d’élever des communautés, des entreprises, et même des États.
Défis et Obstacles des Femmes du Secteur Maritime en Afrique
Pourtant, elles continuent à faire face à de nombreux défis, à savoir : la discrimination, le sexisme, l’intolérance, l’intimidation, les allusions malveillantes, le manque d’opportunités professionnelles en raison du sexe, la lenteur dans l’avancement de leur carrière professionnelle, les bas salaires, les stéréotypes de la part des hommes et parfois même de femmes, le manque d’opportunités à accéder aux plus hauts postes de l’industrie, la ségrégation professionnelle, sans oublier le harcèlement sexuel.
Aussi, on note, qu’elles doivent fournir des efforts supplémentaires, voir travailler doublement pour évoluer dans ce secteur. Elles sont considérées par leurs homologues masculins comme les maillons faibles de l’entreprise. Leur intelligence et leurs compétences sont remises en question par leurs confrères. Lorsqu’elles sont amenées à diriger des hommes, elles doivent faire preuve d’un niveau de leadership élevé, beaucoup de patience et de diplomatie pour se faire accepter et gagner la confiance de leurs subalternes.
Une étude internationale a révélé que si 1,28 % des marins sont des femmes, 60 % d’entre elles ont déclaré avoir été victimes de discrimination fondée sur le sexe à bord des navires.
On note, que les femmes marins victimes d’harcèlement sexuel hésitent souvent à porter plainte, par crainte de conséquences sociales et personnelles telles que la poursuite du harcèlement ou l’isolement, voire la perte de leur emploi.
En Afrique, on décompte très peu d’incidence de ce genre, ayant fait l’objet de médiatisation, même si des femmes travaillant dans l’industrie maritime africaine en sont toutefois victimes.
Rappelons-nous du cas d’Akhona Geveza, une cadette de l’Autorité portuaire nationale sud-africaine (Transnet), qui effectuait sa formation à bord du porte-conteneurs Safmarine Kariba, avait été portée disparue le 24 juin 2010 vers midi. Après des heures de recherche, son corps avait été retrouvé en mer par la police locale près du port de Rijeka, en Croatie.
Un rapport de la police croate sur l’incident avait conclu qu’elle s’était suicidée après avoir pris des pilules et également bu des liquides empoisonnés. Les journaux sud-africains avaient rapporté qu’elle avait déclaré plus tôt à une collègue, la Cadet Nokulunga Cele, qu’elle avait été violée par l’officier en chef ukrainien du navire.
« Selon Safmarine, dès qu’ils ont eu connaissance des allégations concernant Mme Geveza, ils ont donné l’ordre de relever de ses fonctions l’officier en chef à bord du navire. » nous révèlent gCaptain.
Le cas d’Akhona Geveza n’est malheureusement pas un incident isolé. Des cas similaires de harcèlement, d’agression et de discrimination persistent dans ce secteur vital.
Législations et Conventions pour protéger les Femmes du Secteur Maritime en Afrique
En Afrique, il n’existe pas de législations ou de mécanismes d’application des droits destinés à protéger les femmes du secteur maritime. La stratégie maritime intégrée de l’Afrique (AIMS) 2050, reconnaît tout simplement l’importance de l’égalité des sexes et la nécessité de remédier aux déséquilibres au sein du secteur.
Mais, au plan international, nous relevons :
- la convention du travail maritime 2006 (OIT 2006) ; et
- la Résolution sur le harcèlement et l’intimidation, y compris les agressions sexuelles et le harcèlement sexuel, dans le secteur maritime, adoptée par le Comité tripartite spécial (CST), en vertu de l’article XIII de la convention du travail maritime, 2006, tels qu’amendée (CTM, 2006).
L’Organisation internationale du travail (OIT) travaille également à regrouper ses nombreuses conventions sur le travail maritime en un texte unique, universellement accepté, pour améliorer les conditions de travail de tous les marins, hommes et femmes.
En dehors des conventions sur-citées, le législateur africain se repose également sur celle relative au travail, et à l’égalité des sexes, à savoir :
- la Convention n° 190 de l’OIT (C190 en abrégé), qui est le premier traité international à reconnaître le droit de chacun à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre ;
- la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, 1979 ;
- la Convention n° 100 concernant l’égalité de rémunération entre la main-d’œuvre masculine et la main-d’œuvre féminine pour un travail de valeur égale, 1951 ;
- la Convention n° 111 concernant la discrimination (emploi et profession), 1958
Au plan continental, nous pouvons citer :
- la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 1981, également connue sous le nom de « Charte de Banjul » ;
- le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits des femmes en Afrique, 2003, plus connu sous le nom de » Protocole de Maputo « ;
- la Charte des collectivités territoriales pour l’égalité des genres en Afrique, 2022 ;
- etc.
Au plan national, il s’agit des codes du travail, des constitutions nationales, etc.
A titre illustratif, au Maroc, le code du travail interdit à l’encontre des salariés, en son Article 9, toute discrimination fondée sur le sexe.
Au Sénégal, l’Article 25 de la loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution, modifiée interdit toute discrimination entre l’homme et la femme devant l’emploi, le salaire et l’impôt. Aussi, l’Article L.105 du Code du Travail Sénégalais stipule qu’« A conditions égales de travail, de qualification professionnelle et de rendement, le salaire est égal pour tous les travailleurs, quels que soient leur origine, leur sexe, leur âge et leur statut. »
Recommandations pour Soutenir les Femmes du Secteur Maritime en Afrique
Pour lutter contre les défis auxquels les femmes du secteur maritime font face, plusieurs initiatives peuvent être mises en place par les gouvernements, les institutions, les associations et toutes autres parties prenantes, notamment :
- Organiser des campagnes de sensibilisation sur l’égalité des chances et la lutte contre la discrimination dans le secteur maritime.
- Mettre en œuvre et appliquer des politiques de tolérance zéro à l’égard de la discrimination, du harcèlement et du sexisme sur les lieux de travail maritime, en prévoyant des sanctions claires pour les contrevenants.
- Adopter des lois et des règlements qui garantissent l’égalité des chances pour les femmes en matière de recrutement, de promotion et d’accès au poste de direction dans le secteur maritime.
- Mettre en œuvre des quotas de femmes ou des objectifs de diversité pour garantir une représentation équitable des femmes à tous les niveaux de l’industrie maritime en Afrique.
- Mettre en œuvre des initiatives visant à accroître la représentation des femmes dans les postes de direction et de prise de décision au sein des entreprises et des organisations maritimes.
- Créer des réseaux de soutien professionnel exclusivement destinés aux femmes africaines dans le secteur maritime, offrant des possibilités de mise en réseau, de mentorat et de partage d’expériences.
- Organiser des événements et des conférences axées sur le leadership féminin et les réalisations des femmes dans le secteur maritime africain afin de les inspirer et de promouvoir leur avancement professionnel.
- Établir des mécanismes de signalement confidentiels et accessibles pour les cas de discrimination, de harcèlement et d’intimidation sur le lieu de travail.
- Fournir un soutien psychologique et juridique aux victimes, y compris des services de conseil et des ressources de protection.
En conclusion, bien que les défis persistants entravent la pleine intégration des femmes dans l’industrie maritime africaine, des progrès significatifs sont observés avec l’ascension de femmes talentueuses à des postes de leadership et la reconnaissance croissante de leur contribution essentielle à ce secteur vital. Pour assurer une représentation équitable et éliminer les obstacles persistants tels que la discrimination et le harcèlement, il est impératif que les gouvernements, les entreprises et la société civile intensifient leurs efforts. En adoptant des politiques inclusives, en renforçant la législation et en promouvant une culture de respect et d’égalité, l’Afrique peut véritablement ouvrir la voie à une industrie maritime plus diversifiée, dynamique et prospère pour tous.
Par Pascaline ODOUBOUROU,
Spécialiste en Management Portuaire et Maritime,
Spécialiste Economie Bleue, Genre en Economie Bleue,
Fondatrice et rédactrice en chef de MARITIMAFRICA,
Co- Fondatrice de Blue Women Africa